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IMMOBILIER : L’INDEMNITE D’EVICTION

 

La caractéristique essentielle du statut des baux commerciaux est le droit au renouvellement qui permet de protéger et de valoriser les fonds de commerce.
L’indemnité d’éviction est la clef de voûte du statut. Alternative au renouvellement du bail, l’indemnité d’éviction, est le prix à payer au locataire par le bailleur qui entend refuser le renouvellement du bail pour recouvrer la libre jouissance de son bien dès lors qu’il ne peut exciper l’un des motifs l’exonérant du paiement de cette indemnité.
L’indemnité d’éviction garantit ainsi au locataire son droit au renouvellement et, à cet effet, elle doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
C’est en cela que l’on en est venu à parler de « propriété commerciale » tant il est vrai que le statut des baux commerciaux limite les droit du bailleur sur son bien.

I – Les principes

L’article L.145-14 du Code de Commerce dispose expressément que « le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur devra, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ».

En fin de bail, le bailleur dispose donc d’une option lui permettant, soit d’offrir le renouvellement du bail à son locataire, soit de lui refuser le renouvellement et ce, de manière totalement discrétionnaire, à charge cependant en une telle hypothèse, de lui payer une indemnité d’éviction, destinée à compenser le préjudice subi du fait du non-renouvellement du bail.

Aux termes de l’article L.145-17 I du Code de Commerce, le bailleur peut refuser au locataire le renouvellement du bail sans lui verser d’indemnité d’éviction :
– S’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre de son locataire (par exemple, le changement d’activité du locataire non autorisée par le bailleur : CA PARIS 23 novembre 2015, JurisData n° 2015-026629)
– Ou s’il est établi que l’immeuble loué est insalubre ou dangereux

Ces situations doivent être distinguées du cas où le locataire, faute de remplir les conditions pour bénéficier d’un droit au renouvellement, ne peut prétendre à une indemnité d’éviction. Dans cette dernière situation en effet, le droit à indemnité d’éviction n’a jamais existé.

II – Les conditions

• Les conditions quant au congé

è Forme et délai : depuis la loi Pinel du 18 juin 2014, le congé avec refus de renouvellement n’est plus impérativement délivré par acte d’huissier au locataire.
Le Bailleurs peut désormais délivrer un congé au locataire, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit par acte d’huissier. A défaut, le congé sera nul, si tant est que cette nullité relative soit soulevée par le locataire.

Le congé doit être donné au moins six mois avant l’expiration du bail en cours (article L.145-9 alinéa 1er du Code de Commerce). Attention, un usage ou une clause du bail peuvent prévoir un délai plus long, qui devra alors être respecté par le bailleur qui entend donner congé.
è Contenu : Le dernier alinéa de l’article L.145-9 du Code de Commerce dispose que : « le congé doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné. »
Toutefois, si le bailleur propose une indemnité d’éviction dans le congé, alors celui-ci n’a pas à être motivé, la dite offre constituant un motif suffisant (3ème Civ. 8 février 2006 n° 04-17.898). Dans cette hypothèse, l’offre d’indemnité n’a pas obligatoirement à être chiffrée. En pratique, le congé peut simplement préciser que le bailleur offre le paiement d’une indemnité d’éviction dans les conditions de l’article L.145-14 du Code de Commerce pour que le congé soit valable.

• Conditions quant au locataire
Pour avoir droit au renouvellement de son bail, ou au paiement d’une indemnité d’éviction en cas de refus du renouvellement du bail, le locataire doit remplir certaines conditions.
Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, le bailleur peut refuser de renouveler le bail, sans indemnité.
è Nationalité du locataire : depuis la loi Pinel, tous les commerçants étrangers bénéficient du droit au renouvellement du bail commercial. Cette disposition étant entrée en vigueur le 20 juin 2014, elle s’applique donc à tous les baux commerciaux, y compris ceux en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi.
è Immatriculation du locataire :
o le preneur à bail doit être immatriculé au RCS ou au Registre des Métiers
o l’activité exploitée dans les lieux visés au bail qui n’est pas renouvelé doit être identique à celle pour laquelle il est immatriculé au RCS

• Conditions quant au fonds de commerce
Le statut des baux commerciaux, et ainsi les principes relatifs à l’indemnité d’éviction s’appliquent aux locaux dans lesquels un fonds est exploité par une personne morale ou physique immatriculée au RCS ou au Registre des Métiers, que celle-ci accomplisse ou non des actes de commerce.
Néanmoins, le locataire doit être propriétaire de son fonds de commerce, et l’exploiter afin de bénéficier de l’indemnité d’éviction.
è Propriété du fonds : le locataire ne peut pas bénéficier du droit au renouvellement (et ainsi avoir droit à une indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement) s’il n’est pas propriétaire du fonds de commerce.
En cas de sous-location, le sous-locataire peut bénéficier d’un droit au renouvellement contre le locataire ou d’un droit direct au renouvellement contre le bailleur principal.
è Exploitation du fonds : pour que le droit au renouvellement du bail puisse être invoqué, le fonds doit avoir fait l’objet d’une exploitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d’expiration du bail ou de sa reconduction.
Lorsque l’exploitation du fonds est continue pendant toute la durée du contrat, la situation est simple.
En revanche, lorsqu’un changement d’activité est intervenu au cours des trois dernières années précédant l’expiration du bail, il faut distinguer deux situations :
o En cas de déspécialisation partielle ou plénière : si le changement d’activité a été réalisé conformément aux règles de la déspécialisation, le locataire peut bénéficier du droit au renouvellement
o En cas de cession du seul droit au bail (avec ou sans changement d’activité) : le nouvel acquéreur peut se voir refuser le renouvellement du bail ou l’indemnité d’éviction. Il a donc tout intérêt à obtenir du bailleur une promesse de renouvellement ou un renouvellement anticipé avant d’acquérir le droit au bail.

Désormais, l’obligation d’exploitation personnelle n’est plus exigée par loi, sauf clause contraire stipulée dans le bail commercial. Le locataire peut donc faire exploiter son fonds par un tiers sans que cela ne remette en cause son droit au renouvellement.
Cependant, certains motifs légitimes peuvent justifier le défaut d’exploitation du fonds, à condition que ce défaut d’exploitation soit provisoire et indépendant de la volonté de locataire.

Ces motifs légitimes de défaut d’exploitation font l’objet d’une appréciation au cas par cas par les magistrats. Par exemple, a ainsi pu être retenu à ce titre, le défaut de réparations incombant au bailleur.

III – L’évaluation de l’indemnité d’éviction

Sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants du Code de Commerce, lorsque le bailleur entend refuser le renouvellement du bail, il est tenu de payer au locataire une indemnité d’éviction égale au préjudice subi par le locataire.

L’article L.145-14 édicte d’ailleurs une présomption de perte du fonds de commerce, laquelle peut cependant être combattue, si le bailleur rapporte la preuve, que le préjudice que va subir le locataire du fait de l’éviction est moindre.

Il sera ici rappelé que si le bailleur ne propose aucune indemnité d’éviction dans son congé, le locataire qui entend la demander, doit, à peine de forclusion, saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné, ou si le locataire avait fait une demande de renouvellement, à compter de la date à laquelle lui a été signifié le refus de renouvellement.

• La date d’évaluation : Le préjudice subi par le locataire doit être évalué au jour le plus proche de l’éviction, c’est-à-dire :
– Soit au jour du départ effectif du locataire
– Soit à la date de la décision de justice, si le locataire est encore dans les lieux, le jour où les juges statuent

• Les critères d’évaluation
L’article L.145-14 alinéa 2 du Code de Commerce dispose quant à l’indemnité d’éviction :
« Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »

L’importance du dommage subi par le locataire dépend du sort réservé au fonds, et nécessite donc de distinguer :
o Si le fonds disparait du fait de la perte de la clientèle attachée au lieu de situation (ex : commerces de quartier ou de proximité)
o Si le fonds est transféré du fait de l’installation du locataire dans de nouveaux locaux sans perte de la clientèle

Il convient par ailleurs de préciser que la fixation contractuelle, par avance, du montant de l’indemnité d’éviction devrait être considérée comme prohibée en vertu de l’article L.145-15 du Code de Commerce puisque pouvant porter atteinte au droit au renouvellement.

En pratique, un expert sera désigné afin de recueillir les éléments nécessaires à la détermination de l’indemnité d’éviction. L’expertise constitue le préalable indispensable pour que le tribunal puisse se prononcer sur le montant de l’indemnité d’éviction.

Il sera rappelé que depuis un arrêt rendu le 16 avril 2008 par la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation (Bull.Civ. III n° 72), un coup d’arrêt a été mis aux expertises ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile, à la demande de bailleurs qui, après avoir offert le renouvellement, entendaient obtenir une estimation de l’indemnité d’éviction susceptible d’être due à leurs locataires, afin de pouvoir exercer leur droit d’option en toute connaissance de cause.

• L’évaluation de l’indemnité correspondant au remplacement du fonds
Il s’agit de l’hypothèse où il y a perte de la clientèle, qui est attachée au lieu de situation du fonds : soit que le fonds disparaisse purement et simplement, soit qu’il ne puisse pas être transféré à proximité.

è Indemnité principale : la valeur marchande du fonds
L’article L.145-14 du Code de Commerce précise que la valeur marchande du fonds de commerce doit être déterminée selon les usages de la profession. Cependant, à quelques rares exceptions près, ceux-ci sont souvent inexistants ou méconnus.

Plusieurs méthodes existent pour évaluer un fonds de commerce. Les Experts Judicaires et les magistrats apprécient souverainement la méthode à retenir qui leur semble la plus équitable pour réparer le préjudice du locataire évincé.

En toute hypothèse, la valeur du fonds de commerce considéré globalement inclura nécessairement la valeur dudit droit au bail.

è Indemnités accessoires
L’indemnité principale est éventuellement augmentée :
– En cas de réinstallation du locataire :
§ Des frais normaux de déménagement et de réinstallation
§ Des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur
§ De l’indemnité de trouble commercial ou de cessation d’exploitation destinée à compenser la perte de gains pendant le temps nécessaire à la réinstallation du locataire
– En toute hypothèse : de l’indemnité de licenciement en cas de rupture des contrats de travail du personnel salarié (uniquement en cas de disparition définitive du fonds ou de réinstallation lointaine)

En revanche, sont exclus du calcul de l’indemnité d’éviction :
– Le matériel, le mobilier et les droits incorporels car ils sont et restent la propriété du locataire évincé
– L’acquisition d’un nouveau pas-de-porte car cet élément est déjà pris en compte dans le cadre de l’indemnité principale
– Les aménagements et travaux réalisés dans le local dont le bail n’est pas renouvelé
– Les impôts dus au titre des plus-values
– Le préjudice moral

Cette liste des indemnités accessoires n’est évidemment exhaustive, et chaque situation peut amener à envisager d’autres types d’indemnités.

• L’évaluation de l’indemnité correspondant au déplacement du fonds
Il s’agit de l’hypothèse où le locataire a la possibilité de se réinstaller dans un autre local, sans pour autant perdre sa clientèle.

Le fonds n’étant pas perdu, il n’a pas à être remplacé. L’indemnité d’éviction correspond alors à une valeur de déplacement.

è Indemnité principale : la valeur du droit au bail
La méthode la plus couramment utilisée en matière d’évaluation du droit au bail est celle dite du différentiel ou encore appelée méthode de « l’économie de loyer ». Elle consiste à retenir la différence entre le montant du loyer que le locataire aurait payé si le bail avait été renouvelé et celui du loyer qu’il va devoir payer en allant s’installer dans un autre local.
A ce différentiel est appliqué soit un coefficient dit de capitalisation, soit un coefficient dit de situation tenant compte de la nature de l’activité et de la commercialité de l’emplacement.

è Indemnités accessoires
Elles sont identiques à celles mentionnées ci-avant pour le calcul de l’indemnité d’éviction correspondant au remplacement du fonds.

Si indemniser le transfert s’avère plus onéreux qu’indemniser la perte du fonds, on doit, dans la logique de l’article L.145-14 du Code de Commerce, s’en tenir à l’indemnisation de la perte du fonds (Cass. 3ème Civ. 2 février 1968 Bull. Civ. III n° 69).

Les magistrats retiendront en principe la solution la moins onéreuse dans sa réalisation, bien que l’évaluation du montant de l’indemnité relève de leur pouvoir souverain d’appréciation.

Il en résulte qu’en matière d’éviction, s’agissant d’évaluer le préjudice spécifique, concrètement subi par le locataire évincé, il faut se garder de penser pouvoir faire une application rigide des règles préétablies, chaque éviction devant faire l’objet d’une analyse particulière pour laquelle le rôle de l’expert sera bien évidemment essentiel, à charge néanmoins pour le locataire de savoir également mettre au jour les différents postes de préjudice qu’il sera susceptible de subir du fait du non-renouvellement de son bail, qu’il s’agisse de l’indemnité principale ou des postes accessoires.

 

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