La notion de pleine propriété d’un bien immobilier peut s’établir avec plusieurs montages, notamment via le démembrement de propriété ou l’indivision.
Bien que ces deux options permettent à plusieurs parties d’avoir des droits sur un même bien, elles sont en réalité encadrées par des principes différents, menant à des droits, des limites et des conséquences propres.
En effet, entre les deux formules, des différences fondamentales existent qu’il convient de connaître avant de choisir le bon montage.
DEFINITION DE L’INDIVISION ou la division du droit de propriété en des quotes-parts identiques, la propriété devenant collective et partagée.
L’indivision se produit lorsque plusieurs personnes détiennent ensemble des droits sur un bien immobilier sans que leurs parts soient physiquement séparées : chaque indivisaire possède une quote-part du bien, généralement en proportion de sa contribution financière à l’achat.
L’indivision peut concerner l’achat d’une maison ou d’un appartement acheté par un couple, mais aussi l’héritage d’un bien à vocation familiale recueilli dans le cadre d’une succession.
Le statut juridique de l’indivision a été institué par la loi n°76-1286 du 31 décembre 1976 qui prévoyait 2 régimes distinctes de gestion : un régime légal et un régime conventionnel.
Puis, la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a procédé à une réforme substantielle du régime de l’indivision, l’objectif poursuivi étant de faciliter la gestion de l’indivision jugée encore trop complexe à l’époque : les 2 apports majeurs sont la substitution à la règle de l’unanimité la majorité des 2/3 pour les actes d’administration et la gestion libre des actes conservatoire.
LA GESTION D’UN BIEN INDIVIS : l’unanimité a fait place à une certaine liberté de gestion, tout en respectant l’obligation légale d’information sous peine d’inopposabilité des actes de gestion, les dépenses devant être assumées collectivement.
# Les dispositions légales concernant le régime de l’indivision se situent dans le livre III du Code civil, Titre premier (articles 815 à 842).
Le principe de la gestion de l’indivision posé est l’unanimité, néanmoins des exceptions sont prévues selon la nature des actes envisagés :
les actes dits « conservatoires »: il s’agit de tout acte d’ordre matériel ou juridique de gestion courante qui permet de maintenir le bien dans son état d’origine et éviter ainsi sa perte.
En vertu de l’article 815-2 alinéa 1er du Code civil, tout indivisaire peut les effectuer seul sans l’accord des autres indivisaires : « Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence »
La jurisprudence définit classiquement les actes conservatoires comme « les actes matériels ou juridiques ayant pour objet de soustraire le bien indivis à un péril imminent sans compromettre sérieusement le droit des indivisaires » [Cass. 3ème Cv. 28 mai 2020, n°19-14.156 « L’action ayant pour objet la liquidation d’une astreinte prononcée en vue d’assurer la remise en état de biens indivis constitue un acte conservatoire que tout indivisaire peut accomplir seul » ; la souscription d’un contrat d’assurance ou d’un bail, l’action en revendication d’une propriété indivise – Cass. 1ère Civ. 26.03.2020 n°18-24.891, l’action en paiement d’une indemnité d’occupation : Cass. 1ère Civ. 16.09.2024 n°13-20.079).
Néanmoins, si des frais sont engagés par un indivisaire, les autres indivisaires devront le dédommager (article 815-2 alinéa 3), à moins qu’il n’utilise pour ce faire les fonds de l’indivision en sa possession (article 815 alinéa 2).
Enfin, si les fonds de l’indivision sont insuffisants, l’indivisaire peut obliger les coindivisaires à engager les dépenses nécessaires à condition que ces dépenses soient raisonnables et proportionnées à la valeur des biens, objet de l’acte conservatoire.
les actes dits « d’administration » : prévus à l’article 815-3 du code civil, il s’agit de tout acte juridique de gestion tel que conclusion ou renouvellement d’un bail, vente de mobilier pour payer des dettes.
Une majorité de 2/3 des droits des indivisaires doit être obtenue et tous les indivisaires doivent être informés : il s’agit d’une obligation légale d’information ; à défaut d’information préalable, les actes ne seront pas opposables aux autres indivisaires.
Également, si un acte d’administration a été fait sans la majorité des 2/3 tiers, il sera inopposable aux indivisaires n’ayant pas passé l’acte, sauf si cet acte a été passé au vu et au sus des autres coindivisaires qui en ont parfaitement connaissance, l’indivisaire sera alors réputé avoir reçu de leur part un mandat tacite.
Pour faciliter la gestion du bien indivis du fait de cette obligation légale d’information, les indivisaires peuvent consentir à la majorité des 2/3 et à l’un d’entre eux ou un tiers, un mandat général d’administration.
les actes dits « de disposition »: tous les actes juridiques « graves » autres que ceux précédemment énoncés, à savoir tout acte qui ne rentre pas dans le cadre de l’exploitation normale des biens indivis et tout acte de vente autre que celui des biens meubles indivis.
À défaut d’unanimité, l’acte sera inopposable aux indivisaires ne l’ayant pas passé.
# En cas de blocage en raison de l’impossibilité de recueillir soit les 2/3 des droits indivis pour un acte d’administration, soit l’unanimité pour un acte de disposition, un indivisaire peut solliciter l’autorisation du juge à cette fin.
Cette situation de blocage peut être due soit à un refus d’un indivisaire de nature à « mettre en péril l’intérêt commun » (Article 815-5 du Code civil) soit en raison de l’incapacité d’un des indivisaires de manifester sa volonté (vieillesse, handicap, Article 815-4 du Code Civil), l’indivisaire sollicitera par la voie judiciaire l’autorisation de le représenter.
Il s’agit d’une mesure exceptionnelle permettant de sortir d’une situation de crise notamment lorsque l’un des coindivisaires bloque la vente d’un bien immobilier sans raison valable, alors que la vente serait bénéfique ou nécessaire à toute l’indivision.
Depuis la loi du 12 mai 2009, le juge peut autoriser un ou plusieurs des coindivisaires titulaires d’au moins 2/3 des droits indivis à vendre un bien indivis sans avoir à obtenir l’unanimité.
Il s’agit d’une procédure stricte qui consiste dans un premier temps pour le ou les indivisaires représentant 2/3 des droits indivis, à exprimer leur volonté d’aliénation devant un notaire, lequel, dans le délai d’un mois suivant recueil de cette volonté exprimée, devra faire signifier cette intention aux autres indivisaires par lettre. Si l’un ou plusieurs des autres indivisaires s’oppose(nt) à la vente du bien indivis, ou s’il(s) ne répond(ent) pas à la lettre du notaire dans les 3 mois, le notaire le fera constater par un procès-verbal. C’est ainsi que le juge judiciaire pourra autoriser la vente du bien si « elle ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires » par licitation.
# In fine, tous les indivisaires restent solidaires en cas de dettes (arriéré de charges de copropriété, arriéré de taxes foncières, etc…).
DEFINITION DU DEMEMBREMENT DE PROPRIETE ou la division du droit de propriété en des droits différents, la propriété devenant séparée :
Le démembrement de propriété divise le droit de propriété en deux composantes à savoir : la nue-propriété et l’usufruit :
Le nu-propriétaire détient le bien mais ne peut pas l’utiliser ou en tirer des revenus et doit laisser l’usufruitier jouir paisiblement de la chose ; en vertu de l’article 815-5 du code civil, il ne peut demander à un juge « d’ordonner la vente de la peine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier» ;
L’usufruitier peut utiliser le bien et en percevoir les revenus, mais il ne peut pas le vendre sans le consentement du nu-propriétaire.
Ce démembrement peut être viager (jusqu’au décès de l’usufruitier) ou temporaire (pour une durée définie).
LA GESTION D’UN BIEN DEMEMBRE : le principe de liberté pour l’usufruitier avec une charge financière plus ou moins lourde.
# La gestion du bien démembré pèse donc sur l’usufruitier qui a l’obligation de conserver la chose (et au terme de l’usufruit de la restituer) : le bien devra en principe être restitué dans son état d’origine au nu-propriétaire (qui le cas échéant, pourra demander à être indemnisé si le bien a subi des dégâts au cours de l’usufruit).
Quels sont les droits et obligations de l’usufruiter :
L’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien tandis que les grosses réparations demeurent à la charge du nu-propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations et d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu.
Si l’usufruitier occupe le bien démembré, il sera redevable de la taxe foncière, sauf accord dans le cadre d’une convention exceptionnelle.
L’usufruitier a le droit d’utiliser et de mettre en location le bien et donc consentir seul un contrat de location d’une durée inférieure à 9 ans conformément à l’article 595 du Code civil et en percevoir les revenus.
De ce fait, une limite existe concernant la conclusion de baux commerciaux (voire de baux ruraux) : en effet, le Code civil considère la conclusion de ces baux comme des actes de disposition qui nécessitent alors l’accord du nu-propriétaire.
Également, lorsque l’usufruitier décide de mettre le bien en location, l’usufruitier assumera les droits (conclure et signer le bail, souscrire à une assurance loyer impayé, encaisser les loyers etc…) et les obligations (tenu aux dépenses d’entretien mais aussi aux grosses réparations qui ne seront plus à la charge du nu-propriétaire) d’un propriétaire classique ….
En effet, la jurisprudence a renforcé les obligations de l’usufruitier en jugeant que c’est à l’usufruitier-bailleur de supporter toutes les réparations, autres que locatives, qui s’avèrent nécessaires pour entretenir le bien en état d’être loué, y compris les grosses réparations (Cass. 3ème Civ. 28 juin 2006 n°05-15.563) puisque le nu-propriétaire sera un tiers dans cette relation bailleur/locataire.
Ainsi, définies à l’article 606 du Code civil et faisant l’objet d’une jurisprudence abondante, les grosses réparations sont celles qui concernent les fondations, la structure et l’intégrité de l’immeuble (poutres, murs, toitures notamment) alors que toutes les autres réparations sont dites d’entretien.
Enfin, l’usufruitier devra également supporter toutes les réparations en cas de dégradations commises par un locataire indélicat ou encore le manque à gagner en cas d’éventuels loyers impayés.
# In fine, il n’existe pas de solidarité entre le nu-propriétaire et l’usufruitier pour les dettes, sauf s’il existe une clause de solidarité dans un règlement de copropriété, cette clause ayant été déclarée valable par la Cour de Cassation (Cass. 3ème Civ. 14 avril 2016 n°15-12.545 ; CA Aix-en-Provence, 15 septembre 2020 n°18/04911 : « le syndic n’étant pas tenu de ventiler les charges entre usufruitier et nu-propriétaire ; en revanche, dans leurs rapports entre eux, la charge définitive de la dette peut être répartie en fonction des obligations qui incombent à chacun »).
EN CONSEQUENCE,
Si la gestion d’un bien immobilier en indivision liée à la nature des actes matériels et juridiques devant être mis en œuvre peut rendre complexe sa mise en œuvre et entrainer des conflits entre les indivisaires, la gestion d’un bien démembré est plus libre pour l’usufruitier mais parfois plus lourde et plus onéreuse si ce dernier met en location le bien démembré.
Marie-Anne Brun-Peyrical
Avocat Collaborateur – Droit Immobilier