La cession d’une entreprise est un processus long et complexe qui exclut toute improvisation et nécessite l’accompagnement et le suivi de professionnels aux côté des deux parties afin de garantir le respect des droits de chacun, la protection de leurs intérêts, notamment d’un point de vue fiscal, et la bonne finalisation des opérations.
PREALABLES A LA DECISION DE CEDER
En amont d’une opération de cession d’entreprise, il est recommandé d’effectuer un audit patrimonial complet afin d’analyser les options les plus opportunes tant en terme de fiscalité que de transmission.
D’autre part, avant toute cession de l’entreprise, il convient de réaliser un diagnostic de l’entreprise afin d’identifier les points forts mais surtout les points faibles de l’entreprise.
Une fois ces points faibles identifiés, le diagnostic doit envisager les solutions d’amélioration à prévoir pour optimiser la valorisation de l’entreprise.
C’est une anticipation sur les audits qui seront réalisés par le repreneur et qui peuvent avoir un impact non négligeable sur le prix.
Les principaux points (non limitatifs) à appréhender sont les suivants :
Inventaire mobilier et immobilier, y compris les brevets, marques etc... ;
Etat des lieux contrats en cours (contrats commerciaux, fournisseurs, bail etc...) ;
Etat des créances et nantissements éventuels ;
Pérennité, récurrence du chiffre d’affaires et tout risque éventuel ;
Etat des bâtiments et conformité en vue de l’exploitation ;
Contentieux en cours ;
Audit social complet (contrats de travail, documents sociaux, représentation du personnel, liste des salariés, respect de la législation en terme de santé et de sécurité au travail, litiges en cours etc...) ;
Audit de marché (produits et services de l’entreprise, état du marché, stratégie à court, moyen et long terme) ;
Audit comptable.
La réalisation de ce travail en amont permet de « nettoyer » l’entreprise en réglant et régularisant tous les points qui peuvent l’être ce qui aura pour effet d’augmenter significativement l’attractivité de l’entreprise.
Ainsi, l’état d’esprit le plus efficace pour vendre son entreprise est de poursuivre son activité avec le même enthousiasme tout en s’assurant que les imperfections seront éliminées au moment des opérations de vente.
Vous préparez alors le dossier complet d’information de tout éventuel repreneur en n’omettant pas que celui-ci ne connaît pas l’entreprise telle que vous la connaissez et n’adoptera pas nécessairement votre point de vue, votre politique ou vos objectifs mais devra retrouver ses attentes dans la présentation de la structure.
Cette phase de pré-évaluation et de traitement des « points faibles » peut durer jusqu’à deux ans et est suivie d’une phase d’évaluation.
EVALUATION DE L’ENTREPRISE
Il est recommandé à l’aspirant cédant de faire réaliser assez tôt dans le processus une évaluation de son entreprise par un professionnel.
Celle-ci doit résulter d’une analyse approfondie de l’entreprise, de son activité, de son marché, de sa comptabilité etc...
L’analyse la plus courante recoupe 3 méthodes d’évaluations :
La méthode de rentabilité :
La méthode patrimoniale :
La méthode des multiples :
Il conviendra quoiqu’il en soit de déterminer la situation nette de l’entreprise, puis son résultat dit « normatif », c’est-à-dire le résultat d’exploitation que dégage l’entreprise de façon régulière et dans des conditions normales d’activité.
Pour déterminer le résultat normatif, il faudra établir une moyenne des années passées en intégrant les prévisionnels futurs crédibles et en retraitant les évènements exceptionnels.
Il conviendra ensuite de comparer les résultats obtenus à des transactions comparables déjà intervenues sur le marché afin d’y appliquer des coefficients multiplicateurs crédibles.
CHOIX DU MODE DE TRANSMISSION
Les parties devront choisir le mode de transmission entre la cession de titres et la cession de fonds de commerce.
Le vendeur devra être vigilant quant à l’impact fiscal de cette décision de sorte que c’est souvent lui qui détermine le mode choisi.
Les principaux avantages et inconvénients pour les parties de l’option choisie sont résumés dans les tableaux suivants :
VENTE DE FONDS | |
AVANTAGES | INCONVENIENTS |
VENDEUR | |
Pas de garantie de passif | Séquestre des sommes pendant 4 mois (dette fiscale) |
Survie de la société en cas de besoin, notamment fiscal | Nécessité d’assumer le solde des comptes de la société avant clôture |
| Nécessité de mettre en œuvre la dissolution de la société |
| Taxation plus élevée (plus-value, distribution, liquidation ...) |
ACQUEREUR | |
Pas de reprise des comptes de la société | Perte des relations antérieures de l’entreprise (contrats fournisseurs, partenaires etc...) |
Liberté de choix de structure | Frais et formalisme |
Déductibilité des intérêts de la dette d’achat |
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VENTE DE TITRES | |
AVANTAGES | INCONVENIENTS |
VENDEUR | |
Les sommes sont perçues immédiatement | Garantie d’actif et de passif |
Echelonnement possible de la transmission dans le temps |
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La société poursuit l’activité et reprend donc toutes les obligations existantes (dettes, cautions etc...) |
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Pas de dissolution à mener |
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ACQUEREUR | |
Maintien des relations antérieures de l’entreprise (contrats fournisseurs, partenaires etc...) | Maintien des dettes et garanties antérieures |
| Plafonnement de la déductibilité des intérêts de la dette d’achat |
PROCESSUS DE CESSION
Accord de confidentialité
Tout processus d’acquisition doit théoriquement débuter par un accord de confidentialité entre les parties.
Le but de cet accord est, pour le cédant, de garantir la confidentialité la plus absolue sur les pourparlers en cours mais surtout sur les documents qu’il va transmettre au candidat à la reprise et qui peuvent présenter une implication stratégique lourde pour l’entreprise.
Lettre d’intention
Elle intervient lorsque les parties sont suffisamment avancées dans leurs échanges pour pouvoir affirmer qu’elles ont une volonté réciproque d’entrer dans le fond des pourparlers et, pour le repreneur, de procéder à une analyse approfondie de la société (notamment les audits).
La forme est libre et elle prévoit, la plupart du temps :
Un bref exposé de l’historique de l’entreprise et de son activité ;
Les éléments déterminants qui la caractérisent (à tout le moins aux yeux du repreneur en l’état de sa connaissance) ;
Les points d’audit envisagés ;
Les éventuelles garanties souhaitées ;
Les conditions suspensives envisagées ;
Une première évaluation du prix et/ou, à tout le moins, une méthode de calcul envisagée ;
La volonté éventuelle d’exclusivité et durée de celle-ci ;
Le calendrier souhaité...
Elle est signée par l’acquéreur et, souvent, contresignée par le vendeur.
En tout état de cause, et même si le vendeur ne la contresigne pas, s’il poursuit les pourparlers sans formaliser la moindre opposition ou observation quant aux termes de la lettre d’intention, ceux-ci l’engagent.
Il ne s’agit en rien d’un engagement ferme mais la lettre fixe le point de départ des véritables pourparlers.
En cas de rupture de ces derniers, si l’une des parties y met un terme et que l’autre estime que ceux-ci n’ont pas été menés de bonne foi ou ont été menés avec légèreté, une juridiction peut considérer qu’il y a eu rupture abusive des pourparlers.
La parties qui s’estime lésée peut donc saisir la juridiction et se voir attribuer des dommages et intérêts de ce chef.
Protocole
A la suite de la lettre d’intention, les parties poursuivent leurs informations réciproques tant en termes de connaissance de la société pour ce qui concerne le potentiel acquéreur qu’en terme de manifestation des prétentions respectives concernant l’acte de cession.
A ce stade, elles régulariseront un protocole qui prévoira principalement :
L’identité complète des parties ;
Un descriptif précis de l’entreprise (identité, objet social, répartition du capital, dirigeants, établissements etc...) ;
Engagement réciproque de vendre et d’acheter ;
Eventuelle démission des mandats sociaux ;
Le prix, le mode de calcul et les modalités de paiement ;
Les conditions suspensives ;
Le calendrier ;
Une clause de garantie de passif annexe ;
Les éventuelles clauses complémentaires.
Généralement, les conditions suspensives sont les suivantes :
Obtention du financement par l’acquéreur (conditions et délai) ;
Réalisation des audits de la société (comptable, social, audit de marche, audit de bâtiments etc...) ;
Parfois l’accord d’un tiers déterminant (fournisseur, autorité de la concurrence dans certains cas, bailleur dans certains cas etc...) ;
Maintien du niveau de chiffre d’affaires et des méthodes comptables jusqu’à la cession.
Cette liste n’est pas exhaustive et résultera des prétentions et de l’accord de parties.
Les clauses complémentaires peuvent, par exemple, prévoir :
Une clause de non-concurrence des cédants au profit du cessionnaire limitée dans l’espace et dans le temps (il faudra ici rappeler précisément le domaine d’activité protégé) ;
Les engagements de départ des cédants ou les modalités d’accompagnement des cessionnaires ;
Les conditions d’embauche nouvelle ou de licenciement durant la période entre le protocole d’accord et l’acte définitif ;
Les conditions d’emprunt éventuel durant la période entre le protocole d’accord et l’acte définitif ;
Les conditions de distribution de dividendes durant la période entre le protocole d’accord et l’acte définitif ;
Les conditions de disposition des actifs de la société durant la période entre le protocole d’accord et l’acte définitif ;
Une clause d’attribution de juridiction en cas de litige etc...
Le cas de la clause de garantie d’actif et de passif :
Dans le cas d’une cession de titre, le cédant cède la société avec ses litiges en cours, sa comptabilité etc...
Dès lors, il garantit au cessionnaire la sincérité des informations données avant la cession et le protège contre les augmentations de passif ou les diminutions de l’actif de référence dès lors que les causes de ses variations sont nées avant la cession mais qu’elles ont été connues après la cession (à tout le moins par le cessionnaire).
Cette clause prévoit notamment :
Le ou les garants et le ou les bénéficiaires qui ne sont pas forcément les cessionnaires (la société cédée peut par exemple être directement bénéficiaire ce qui exclut tout impact sur le patrimoine du cessionnaire) ;
La définition du patrimoine cédé ;
La définition de l’activité de la société ;
La description de la vie sociale de la société ;
La description des caractéristiques du fonds de commerce ;
La description des bâtiments occupés (baux éventuels, conformité de locaux, risques environnementaux, etc...) ;
La description de l’état du personnel et la situation sociale (individuelle et collective) de la société ;
La propriété intellectuelle, industrielle etc...
Description de l’état du matériel et des installations ;
Description de la qualité de produits et services fournis ;
Description des contrats en cours ;
Description de l’état d’endettement de la société ;
Description des litiges en cours ;
Description de l’état des garanties, cautions et engagements hors bilan;
L’engagement de conformité fiscale et sociale de la société ;
Description des éventuels accords et comptes entre la société et les associés ;
L’engagement de conformité comptable de la société ;
L’étendu et les limites de la garantie ;
La durée de la garantie
Le mode de détermination des préjudices garantis ;
Le mode de paiement ;
Les éventuels seuils ;
L’éventuelle garantie de la garantie.
Cession
Autrement appelé le closing, il intervient lorsque toutes les conditions suspensives sont levées.
Il convient alors, au plus près de la date de closing, de réaliser les comptes arrêtés.
Le jour du closing, les documents suivants sont généralement signés (et divergent suivant le mode de transmission choisi) :
L’acte de cession ;
Les ordres de mouvement de titre (quand les titres sont cédés) ;
La convention de séquestre du prix (lorsqu’il s’agit d’une vente de fonds) ;
Les assemblées générales relatives aux mouvements de titres, aux changements relatifs aux mandats sociaux etc...
La garantie d’actif et de passif ;
Les éventuelles garanties ;
La vente éventuelle du stock ;
L’éventuel pacte d’actionnaires ;
Les formalités d’enregistrement relatives à la cession doivent être faites dans un délai qui varie de 15 jours à 1 mois suivant le mode de transmission choisi et la forme juridique de la structure concernée.
LE SORT DES SALARIES
L’article L.1224-1 du Code du travail dispose :
« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. »
Ainsi, une cession totale de l'entreprise entre dans le champ d’application de ces dispositions dès lors que l'acheteur poursuit la même activité que le vendeur et que l'entité économique conserve son identité.
Il en va de même en cas de fusion, mises en société ou apports en société ou filialisation d'une activité avec transfert d'une entité économique.
Il en est également ainsi en cas de mise en location-gérance d'un fonds de commerce, de changement de locataire-gérant ou à la fin de la location-gérance.
Sont concernés par le transfert automatique de leur contrat de travail les salariés titulaires d'un contrat en cours d'exécution à la date du transfert, affectés à l'entité économique transférée même si le contrat est suspendu ou si le salarié est détaché dans une autre entreprise.
Les contrats de travail sont transférés de plein droit au nouvel employeur qui a l’obligation d’en poursuivre l'exécution sans aucune formalité à l’exception du devoir d’information préalable du cédant et du cessionnaire à l’égard des salariés ou de leurs représentants quant au projet de transmission envisagé.
Le changement d'employeur s'impose aussi bien aux salariés ainsi qu’au cédant et au cessionnaire sans qu’il puisse y être dérogé et le contrat se poursuit dans les mêmes conditions.
Il est précisé à l’article L.2261-14 du Code du travail :
« Lorsque l'application d'une convention ou d'un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d'une fusion, d'une cession, d'une scission ou d'un changement d'activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévu à l'article L. 2261-9, sauf clause prévoyant une durée supérieure.
Lorsque la convention ou l'accord qui a été mis en cause n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans le délai fixé au premier alinéa du présent article, les salariés des entreprises concernées bénéficient d'une garantie de rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée, en application de la convention ou de l'accord mis en cause, lors des douze derniers mois. Cette garantie de rémunération s'entend au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, à l'exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242-1.
Cette garantie de rémunération peut être assurée par le versement d'une indemnité différentielle entre le montant de la rémunération qui était dû au salarié en vertu de la convention ou de l'accord mis en cause et de son contrat de travail et le montant de la rémunération du salarié résultant de la nouvelle convention ou du nouvel accord, s'il existe, et de son contrat de travail.
Lorsque la mise en cause concerne une convention ou un accord à durée déterminée, le deuxième alinéa du présent article :
1° S'applique jusqu'au terme qui aurait été celui de la convention ou de l'accord en l'absence de mise en cause si ce terme est postérieur à la date à laquelle la convention ou l'accord mis en cause cesse de produire ses effets en application du premier alinéa ;
2° Ne s'applique pas si ce terme est antérieur à la date à laquelle cette convention ou cet accord cesse de produire ses effets en application du premier alinéa.
Une nouvelle négociation doit s'engager dans l'entreprise concernée, à la demande d'une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles stipulations. »
Précisons enfin que l’employeur a l’obligation d’informer ses salariés de son projet de vendre dans les délais prévus par la loi en fonction de la représentation de l’entreprise et du nombre de salarié.
Cette obligation s’impose à l’employeur sous peine de sanctions pécuniaires.
CLÉMENT RAINGEARD
AVOCAT ASSOCIÉ