La problématique
Le contrat de construction de maison individuelle (CCMI) trouve son aboutissement en fin de chantier, dans la réception de l’ouvrage, point de départ des garanties (article 1792-6 du Code Civil).
Cette phase est particulièrement importante, ouvrant le droit à formuler toutes réserves et surtout à les voir levées dans un délai de parfait achèvement. Il devient donc fréquent que certains constructeurs tentent de dévoyer cette garantie des vices apparents à réception, en faisant largement remonter la réception pour tenter de faire jouer la prescription et d’annihiler les responsabilités encourues.
Ils imaginent alors un processus de réception tacite sous le couvert d’une entrée dans les lieux, d’un démarrage de travaux, d’un stockage de matériaux... autant d’arguments fallacieux à combattre.
Attention : la réception tacite est rare et répond à des critères précis
Elle est généralement expresse et prononcée contradictoirement mais les juges admettent cependant qu’elle soit tacite, sous réserve que le maître d’ouvrage témoigne d’une volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage (prise de possession des lieux, règlement du prix, pas de réclamation formulée).
La jurisprudence se veut en effet protectrice des intérêts du maître d’ouvrage, qui ne pourrait léser à ses dépens.
L'évolution de la jurisprudence est la suivante :
Cass 3è civ. 23 février 2000 : viole l’article 1792-6, la Cour d’Appel qui retient la date de livraison des pavillons aux acquéreurs, pour en conclure à l’existence d’une réception tacite sans constater la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.
Cass civ. 3è 19 octobre 2010 - n° 09.70715
Les situations où le maître d’ouvrage a versé au constructeur le solde du marché de travaux et a pris possession de l’ouvrage réalisé, peuvent être considérées comme des cas de réception tacite.
Dans un Arrêt du 12 septembre 2012, la Cour de Cassation rappelle que la réception tacite suppose la prise de possession et la manifestation d’une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage. Ainsi la prise de possession des lieux ne suffit pas toujours à considérer que la réception a eu lieu tacitement, notamment si le maître d’ouvrage n’a jamais réglé le solde des travaux et a manifesté son refus de les réceptionner en entamant une procédure de référé expertise.
Revirement de jurisprudence le 20 avril 2017 : la Cour de Cassation estime qu’il y a réception tacite en cas de paiement des 95 % et prise de possession des lieux, malgré une assignation en réparation des préjudices.
3è Civ. 12 février 2014 - n° 13-1930 : la prise de possession de l’ouvrage justifiée par d’évidentes nécessités économiques ne vaut pas réception tacite.
3è Civ. 13 juillet 2016 - n° 15-17208 : en l’absence de réception expresse, la réception peut-être tacite lorsque les actions du maître d’ouvrage montrent sa volonté d’accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Les deux critères principalement retenus sont la prise de possession des lieux et le paiement intégral ou quasi-intégral du prix.
Cass 3è Civ. 23 mai 2024 : la Cour précise que le fait d’occuper un bien immobilier avant la fin des travaux ne permet pas de présumer une réception tacite. Il faut que les travaux soient entièrement terminés et payés. L'occupation des lieux et le paiement partiel des travaux ne suffisent plus pour présumer une réception.
Un très récent Arrêt rendu par la 3è Chambre Civile de la Cour de Cassation, le 6 juin 2024 n° 22-23.557, illustre parfaitement ce qu’est la manifestation non équivoque :
“énoncé du moyen : La Société GROUPAMA MEDITERRANEE fait grief à l’Arrêt de constater la réception tacite de l’ouvrage à la date du 14 août 2014, de dire, en conséquence, que les désordres relatifs à la question du mur relevaient de la responsabilité décennale et l’a condamné in solidum avec la Société BLACHE MACONNERIE à payer différentes sommes à Monsieur et Madame XXXX, alors que la réception tacite de l’ouvrage à laquelle est subordonnée la mise en œuvre de la garantie décennale requiert que le maître de l’ouvrage ait manifesté de façon non équivoque la volonté de recevoir l’ouvrage ; que pour dire qu’il y avait eu réception tacite de l’ouvrage à la date du 14 août 2014, la Cour d’Appel a relevé que les époux XXX suite à deux convocations ont refusé la réception des travaux les 30 mars 2013 et 25 avril 2013, puis qu’à l’issue d’une procédure en restitution des clés, ils avaient pris possession des lieux le 14 août 2014 et qu’à cette date la maison était alors habitable ; qu’en l’état de ses seules énonciations qui ne caractérisent pas la volonté non équivoque des époux XXX de recevoir les travaux, la Cour d’Appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1792-6 du Code Civil.
Réponse de la Cour : vu l’article 1792-6 du Code Civil : “Il résulte de ce texte que la réception tacite de l'ouvrage est caractérisée par la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de l'accepter. Cette volonté n'est présumée qu'en cas de prise de possession de l'ouvrage jointe au paiement intégral du prix des travaux”.
Pour constater l'existence d'une réception tacite de l'ouvrage au 14 août 2014, l'arrêt relève que, selon le rapport d'expertise judiciaire, M. et Mme XXX ont refusé la réception des travaux à la suite de deux convocations en 2013 et que la maison était habitable lorsqu'ils en ont pris possession à l'issue d'une procédure en restitution des clés.
En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de le recevoir, la Cour d'Appel n'a pas donné de base légale à sa décision...”
Virginie KOERFER BOULAN
Avocat associé
Spécialiste en droit immobilier