La nationalité française d’un justiciable lui confère des privilèges de juridiction dont il peut librement se prévaloir, sauf disposition d’un traité international contraire.
Dans un récent arrêt, la cour de cassation fait un rappel utile du privilège de juridiction existant du fait de la nationalité française d’un demandeur.
L’article 14 du Code civil permet à toute personne de nationalité française d’attraire un défendeur étranger, même domicilié à l’étranger, devant les juridictions françaises.
C’est ainsi qu’un homme de nationalité française a assigné devant les juridictions françaises un homme résidant habituellement en Suisse aux fins de faire constater sa paternité.
Les juges du fond (première instance puis cour d’appel d’Orléans) ont cependant fait barrage à son action en se déclarant incompétentes pour connaître de la procédure. En effet, les juges du fond ont considéré que le demandeur n’avait saisi les juridictions françaises que pour obtenir l’application d’une loi qui lui était plus favorable, et qu’ainsi le but poursuivi en se fondant sur l’article 14 du Code civil était de contourner abusivement l’application d’une loi moins favorable.
Devant la cour de cassation, le demandeur s’est prévalu de ce que l’article 14 du Code civil :
permet au plaideur français d’attraire un étranger devant les juridictions françaises ;
a pour seul fondement la nationalité française du demandeur, et ;
a une portée générale s’étendant à toutes les matières (sauf actions réelles immobilières et demandes en partage portant sur des immeubles situé à l’étranger, et voies d’exécutions pratiquées hors de France).
Le demandeur a argumenté que dès lors que ces critères objectifs sont réunis, le juge français est tenu de mettre en œuvre le privilège de juridiction, sans opérer un contrôle de la motivation du mobile du demandeur.
La Cour de cassation a donné raison au demandeur. Par un arrêt dont le dispositif est très clair, la Cour de cassation énonce : « Pour déclarer le juge français incompétent et inviter les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt relève que [le demandeur], qui ne pouvait pas ignorer que [le défendeur] avait son domicile en Suisse, n'a manifestement saisi le juge français que pour obtenir l'application de la loi allemande qui lui était plus favorable, de sorte que le but poursuivi en se fondant sur les articles 14 et 15 du code civil est de contourner abusivement l'application de la loi française sur la compétence territoriale. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de traité international comme en l'absence de renonciation, la nationalité française de [T] [P] [H] fondait la compétence des tribunaux français, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
La Cour de cassation rappelle ainsi utilement que l’article 14 du Code civil édicte une règle de compétence profitant au demandeur français, laquelle s’impose au juge français, sauf :
convention ou règlement international contraire ;
renonciation à s’en prévaloir par le demandeur français lui-même ;
actions réelles immobilières et demandes en partage portant sur des immeubles situé à l’étranger, et voies d’exécutions pratiquées hors de France.
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La filiation qui était l’objet de l’action du demandeur, n’est régie par aucun traité européen et aucune convention internationale ne liant la France et la Suisse.
En l’occurrence également, le demandeur n’avait jamais renoncé à la compétence des juridictions françaises, bien au contraire.
Aussi, le juge français n’avait pas à effectuer un contrôle sur les motivations pour le demandeur de saisir les juridictions françaises.
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Pour aller plus loin, il sera ainsi rappelé que l’article 14 du Code civil permet à tout français de demander le divorce devant les juridictions françaises, si les critères du règlement Bruxelles II ter ne permettent pas de caractériser la compétence juridictionnelle d’un Etat membre de l’Union Européenne.
Enfin, il sera indiqué également que le privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil ne peut être invoqué par un plaideur que si les règles ordinaires de compétences ne permettent pas de saisir les juridictions françaises.
Camille VINCENT
Avocat Collaborateur