Introduction
La chambre criminelle a rendu le 16 octobre dernier un arrêt qui marque une évolution significative dans la lutte contre le travail dissimulé.
Le code de procédure pénale permet au cours de l’enquête de saisir tout objet ayant été le moyen ou le produit d’une infraction.
La Cour de cassation a redéfini le concept de "produit de l’infraction" de travail dissimulé pour inclure, au-delà des cotisations sociales éludées, les gains résultant d’écarts salariaux et d’amplitudes horaires non conformes à la législation française.
1. Les faits et le contexte de l’affaire
Dans cette affaire, une société roumaine exerçant une activité de transport en France avait dissimulé son activité et l’emploi de ses chauffeurs sur le territoire français. Ces derniers étaient payés selon le barème roumain, nettement inférieur au salaire minimum français, et travaillaient des heures excédant la durée légale prévue en France. Les salaires et cotisations sociales étaient réglés depuis des comptes bancaires situés en Roumanie, mais les flux financiers transitaient par des comptes ouverts en France.
Les autorités françaises ayant découvert ces pratiques ont immédiatement procédé à la saisie de plus d’un million d’euros sur les comptes de la société et sur un compte d’affacturage.
Les différents recours à l’encontre de ces saisies n’ayant pas abouti, la société roumaine s’est pourvue en Cassation.
2. La décision de la chambre criminelle
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société et validé les saisies effectuées.
Se faisant, elle a adopté une définition élargie du produit de l’infraction, allant au-delà des cotisations éludées pour inclure les économies réalisées par la rémunération inférieure et la durée de travail excessive des chauffeurs. En d’autres termes, le produit de l’infraction englobe désormais les avantages économiques obtenus grâce à l’exploitation des salariés en dehors du cadre légal français.
3. Une évolution jurisprudentielle marquante
Cet arrêt poursuit la jurisprudence affinant la définition du produit de l’infraction dans le cadre du travail dissimulé.
En 2016, elle avait introduit la notion d’"économie réalisée par la fraude », qu’elle assimilait aux cotisations sociales éludées.
En 2019 et 2022, elle avait rejeté l’idée que le produit de l’infraction puisse inclure les recettes ou le chiffre d’affaires générés par une activité dissimulée.
Avec cet arrêt de 2024, la Cour opère si ce n’est un revirement tout du moins une modification de sa définition en intégrant les gains indirects liés à des pratiques non conformes, ici la rémunération inférieure au droit français ou l’amplitude horaire excessive.
4. Les enjeux et implications de cette décision
Cette décision a des conséquences majeures pour les entreprises et pour la lutte contre le travail dissimulé. En élargissant la définition du produit de l’infraction, la Cour permet aux autorités judiciaires de saisir et confisquer des sommes plus importantes, reflétant l’ensemble des avantages économiques obtenus frauduleusement. C’est un risque supplémentaire puisque jusqu’à présent, les sociétés pouvaient limiter leurs pertes en remboursant uniquement les cotisations éludées.
Par ailleurs, cette notion de gains indirects reste floue et sera très probablement dans certains cas difficiles à quantifier ce qui signifie probablement que cette jurisprudence devra être à nouveau affinée par les juridictions pénales.
Cette évolution pose enfin des questions en termes de garanties procédurales et de proportionnalité. En facilitant les saisies avant toute condamnation définitive, le risque d’atteintes aux droits des mis en cause s’accroît, ce qui nécessite donc une vigilance accrue en cas de poursuites.
Alexandre BERGERET Avocat Collaborateur