Gérard Depardieu condamné : la justice française consacre-t-elle la "victimisation secondaire" en droit pénal ?
- Alexandre BERGERET
- 27 juin
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Le 13 mai 2025, Gérard Depardieu a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à dix-huit mois de prison avec sursis pour des faits d’agressions sexuelles commis sur deux femmes lors du tournage du film Les Volets verts.
Au-delà de cette condamnation, la motivation du jugement semble marquer un tournant inédit dans le droit pénal national.
Le tribunal correctionnel de Paris a reconnu pour la première fois l’existence d’une "victimisation secondaire" des parties civiles, c’est-à-dire un préjudice distinct causé non pas par l’infraction elle-même, mais par le déroulement de l’audience, en particulier l’attitude de la défense.
Le jugement reproche à l’avocat de Gérard Depardieu d’avoir tenu des propos humiliants et inutiles, déstabilisant les victimes au-delà de ce que nécessitent le respect du contradictoire et les droits de la défense. Le préjudice moral ainsi causé a été jugé suffisamment grave pour justifier une indemnisation supplémentaire, à la charge… du prévenu lui-même.
Cette évolution rentre pourtant en contradiction avec des principes fondamentaux du droit français.
En droit français, la responsabilité personnelle est un principe cardinal : on ne peut être tenu responsable que de ses propres actes (article 121-1 du Code pénal, article 1240 du Code civil).
Gérard Depardieu est pourtant ici sanctionné pour les paroles de son avocat, lequel n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
La Cour de cassation en 2023 avait également rappelé que l’excès rhétorique de l’avocat ne saurait, à lui seul, être répréhensible et constitutif d’un délit de diffamation (Cour de cassation, 2ᵉ chambre civile, 20 avril 2023, pourvoi n° 21‑22.206).
Si la notion de "victimisation secondaire" est bien connue en droit européen. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) la reconnaît dans le cadre de la protection procédurale des victimes, notamment lorsqu’elles sont exposées à des remises en cause injustifiées, des stéréotypes sexistes, ou une atmosphère hostile pendant le procès.
Dans un arrêt retentissant du 24 avril 2025 (L. et autres c. France), la CEDH a condamné l’État français pour n’avoir pas su protéger des victimes de violences sexuelles contre des formes de revictimisation au cours des différents stades de la procédure comme :
Des questions indignes ou humiliantes lors des auditions ;
Des retards et manquements dans l’instruction ;
Une expertise réalisée par un professionnel aux opinions misogynes ;
Une motivation d’arrêt jugée sexiste et discriminatoire
Mais la CEDH n’est jamais aller jusqu’à condamner un prévenu personnellement pour ce type de défaillances procédurales. Elle renvoie systématiquement la responsabilité à l’État, pour non-respect de ses obligations positives de protection au titre de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 8 (respect de la vie privée).
Dans le cas de l’affaire Depardieu, c’est au magistrat qui préside l’audience, de veiller à la bonne tenue des débats. Ce qui manifestement n’avait pas été le cas au cours de l’audience et qui à ce titre aurait pu engager la responsabilité de l’Etat Français.
Le jugement Depardieu, en individualisant la responsabilité sur la tête du prévenu pour des manquements procéduraux qui relèvent d’habitude de l’organisation judiciaire, marque donc une rupture avec les principes européens et interroge sur la conformité de cette décision à la Convention européenne des droits de l’homme et avec les principes fondamentaux du droit pénal français.
Alexandre BERGERET
Avocat Collaborateur