Annulation d’une vente & ses conséquences
- Marie-Anne BRUN-PEYRICAL
- il y a 6 jours
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En cas d’annulation bien souvent par voie judiciaire d’une vente (pour vices cachés, dol, etc….), le principe de la rétroactivité en cas de nullité remet les parties principales, vendeur et acquéreur, dans la même situation existante avant la vente.
Qu’en est-il pour un tiers intervenu dans le cadre de cette vente lorsque ce dernier est un professionnel de l’immobilier ?
I – CONSEQUENCES VENDEUR / ACQUEREUR
Þ Le principe :
® L’annulation d’une vente, quelle qu’en soit la cause, oblige à la remise des parties dans l’état où elle se trouvaient avant la vente.
L’acquéreur devra donc restituer le bien et le vendeur le prix : c’est la conséquence stricte de l’annulation du contrat.
Selon un arrêt de la Cour de Cassation, si l’annulation d’une vente doit remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la vente, le juge n’est pas tenu d’ordonner la restitution du prix en même temps que la restitution du bien vendu, à défaut de demande expresse en ce sens de l’acquéreur [Cass 1ère civile 6 février 2019 numéro 17-25.859].
® En cas de restitution impossible ou de revente à un tiers
Lorsqu’une restitution s’avère impossible (par exemple, bien détruit ou détérioré) ou s’il est impossible de remettre les parties dans la situation qui existait avant la conclusion du contrat annulé, les restitutions peuvent être exécutées en nature ou en valeur : c’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit d’obligation à exécutions successives [Cass. 1ère Civ. 11 juin 2002 n° 00-15297].
Il appartient alors au juge de déterminer la valeur de la contrepartie en prenant en compte la valeur effective de la chose au jour de la vente et ainsi, prendre en compte l’éventuelle dépréciation subie par la chose du fait de son utilisation par l’acquéreur [Cass. 1ère civ. 8 mars 2005, n°02-11594].
En cas de vente du bien à un tiers même de bonne foi antérieure à l’annulation de la première vente, la vente au tiers sera considérée comme n’ayant jamais existé. Ce nouvel acquéreur devra lui aussi participer à la restitution.
Þ Les particularités :
® En cas de location du bien immobilier acquis :
Depuis la réforme du droit des contrats et obligations, les articles 1352-3 et 1352-7 du code civil applicables au 1er octobre 2016 disposent respectivement :
« La restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. La valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. Sauf stipulation contraire, la restitution des fruits, s’ils ne se retrouvent pas en nature a lieu, selon une valeur estimée à la date du remboursement, suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation »
« Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande »
L’annulation d’un acte de vente d’immeuble permet ainsi au vendeur de revendiquer la restitution de l’immeuble mais aussi de ses fruits, et donc des loyers perçus par l’acquéreur, rétroactivement depuis la signature de la vente en cas de mauvaise foi de l’acquéreur ou à compter du jour de la demande de restitution de l’acquéreur en cas de bonne foi.
La bonne ou la mauvaise foi de l’acquéreur d’un bien loué (avant ou après la vente annulée) n’importe plus (contrairement à ce que prévoyaient les articles 549 et 550 du Code civil avant la réforme), sauf pour ce qui concerne la date à compter de laquelle il doit restituer les loyers perçus, en sus de l’immeuble lui-même.
L'annulation de la vente d'un bien immobilier loué impose la restitution du prix perçu, par le vendeur et des loyers perçus, par l'acquéreur.
Toutefois, ces restitutions qui ne sont pas automatiques doivent être demandées, en sus de l'annulation [Cass 3ème Civ 11 février 2021, n°20-11.037].
® En cas de hausse des prix immobiliers postérieurement à une annulation de vente :
Une hausse des prix immobiliers postérieure à une annulation de vente constitue un préjudice certain et peut donner lieu à indemnisation si elle empêche les acquéreurs de racheter un bien équivalent.
La Cour de Cassation a ainsi confirmé l’annulation de la vente et la condamnation des vendeurs à payer 20.000 euros aux acquéreurs correspondant à l’augmentation de 21,5 % des prix du marché immobilier constituant pour ces derniers un préjudice direct et certain justifiant une compensation, afin de permettre aux acquéreurs d’acheter un nouveau bien équivalent.
[Cass. 3e Civ., 5 décembre 2024, n° 23-16.270].
® Le vendeur peut-il réclamer des indemnités d’occupation aux acquéreurs ?
# Comme indiqué précédemment, il n’existe que peu de fondements juridiques à l’annulation d’une vente : les vices cachés, les vices du consentement et la rescision pour lésion.
Avant la réforme du droit des obligations, il était jugé, au contraire, que le vendeur n’était pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble (Cass. ch. mixte 9-7-2004 n° 02-16.302).
Aux termes de l’article 1352-3 du Code civil, issu de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, le vendeur est bien fondé à réclamer une indemnité d'occupation à l'acquéreur, dès lors que ce dernier, par l'effet de l'annulation rétroactive, a occupé les lieux sans droit ni titre.
Dans l’arrêt précédemment précité [Cass. 3e Civ., 5 décembre 2024, n° 23-16.270], la Cour de Cassation précise que la mauvaise foi du vendeur ne le prive pas de cette indemnité d’occupation qui ne peut donc pas être subordonnée à l’absence de faute du vendeur, cassant ainsi l’arrêt de cour d’appel.
Elle ajoute, sur le fondement de l’article 1352-7 du Code civil, que l’acquéreur de bonne foi ne doit cette indemnité qu’à compter du jour de la demande (et non depuis le jour de la mise à disposition du bien Cf Cass. Chambre mixte 09.07.2024 n°02-16302).
Pour autant, si le vendeur obtient gain de cause sur la restitution, il est également condamné à réparer le préjudice subi par l’acquéreur, permettant ainsi une compensation.
® Le vendeur peut-il réclamer une indemnisation en cas d’usure ou de dégradation du bien immobilier ?
La Cour de Cassation a admis que le vendeur puisse bénéficier d’une indemnisation en contrepartie de l’usure ou de la dégradation du bien.
Le montant de cette indemnité correspond au coût de remise en état du bien sans que les juges du fond n’aient à rechercher la faute de l’acquéreur.
Pour illustration, si l’acquéreur entame des travaux non achevés, il devra lui-même remettre le bien en l’état ou supporter les frais de remise en état par une entreprise [Cass. 1ère civ. 2 juin 1987, n° 84-16624).
II – CONSEQUENCES POUR LE TIERS (AGENT IMMOBILIER)
Þ Le principe :
(a) absence d’indemnisation au titre du prix de vente, ce dernier n’étant pas considéré comme un préjudice indemnisable pour le vendeur
La Cour de cassation avait déjà considéré, à propos de l’annulation d’une cession de parts sociales en raison d’un bilan de référence erronée : « Les restitutions réciproques consécutives à l’annulation du contrat instrumenté ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice indemnisable que l’avocat rédacteur d’actes peut être tenu de réparer ».
La Cour de Cassation ne faisait qu’appliquer aux avocats un principe qu’elle avait déjà dégagé pour les notaires et pour les agents immobiliers.
Ainsi, en cas d’annulation d’un contrat, la restitution du prix ne constitue pas en elle-même un préjudice permettant d’engager la responsabilité des professionnels qui seraient intervenus dans la rédaction de l’acte puisque vis-à-vis du vendeur, la restitution du prix à l’acquéreur n’est pas un préjudice, mais une conséquence de la nullité du contrat.
(b) absence d’appel en garantie en cas de faute dolosive du vendeur :
Dans un arrêt rendu le 21 juin 2018 (Cass. 3ème Civ. n°17-18408), la Cour de Cassation avait cassé un arrêt qui avait retenu la responsabilité de l’agent immobilier tenu à une obligation de résultat en qualité de rédacteur d’acte aux motifs que « celui qui commet une faute dolosive ne peut être garanti, au titre de la contribution à la dette, par celui qui commet un simple manquement contractuel ».
Þ L’exception : en cas d’insolvabilité du vendeur, préjudice indemnisable pour l’acquéreur
# A ce titre, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 1er juin 1999, avait déjà précisé que « la nullité d’un acte de vente n’entraîne pas pour l’acquéreur la perte du prix que la nullité l’autorise, au contraire, à se faire restituer par le vendeur, le notaire pouvant seulement, en cas d’insolvabilité de ce dernier, être tenu de garantir la restitution ».
Elle confirmera sa position dans un arrêt du 18 juin 2002 : l’insolvabilité du vendeur constitue ainsi un préjudice indemnisable pour l’acquéreur [Cass. 1ère Civ. 18 juin 2002, n°99-17122]
# Toutefois, encore faut-il que l’acquéreur puisse se retourner contre un garant solidaire du vendeur pour obtenir la restitution du prix de vente.
La Cour de Cassation a pu affirmer que les juges du fond, dans leur pouvoir souverain d’appréciation, disposent de la faculté de condamner l’officier public à une contribution partielle, lorsque celui-ci a commis une faute professionnelle ayant contribué, avec les agissements dolosifs des vendeurs, à tromper les acquéreurs.
Le principe est devenu une jurisprudence constante : « La restitution du prix, par suite de l’annulation du contrat de vente, ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, le notaire peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur » [Cass. 1ère Civ. 10 juillet 2013, n°12-23745 ; Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-12719 ; Cass. 3e civ., 1er juin 2017, n° 16-14428].
Ainsi, la condamnation du notaire fautif résulterait donc de l’article 1240 du Code civil permettant de condamner le notaire à garantir le remboursement du prix de vente en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur : le notaire fautif devient solidaire du vendeur insolvable et, à ce titre, il doit réparer intégralement le préjudice lié à la non-restitution du prix de vente.
# Par un arrêt rendu le 28 juin 2023, la Cour de Cassation est venue confirmer cette évolution en appliquant ce principe à l’agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l’anéantissement de l’acte.
La Cour de Cassation reproche alors à la cour d’appel d’avoir violé les dispositions de l’article 1240 du Code Civil en ne retenant pas que la faute de l’agent immobilier avait contribué à l’annulation de l’acte pour dol : « la restitution du prix par suite de l’annulation du contrat de vente ne constitue pas, en elle-même, un préjudice indemnisable. Toutefois, l’agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l’anéantissement de l’acte, peut être condamné à en garantir le paiement en cas d’insolvabilité démontrée du vendeur ». [Cass. 1ère Civ. 28 juin 2023, n°21-21181].
Dans cette espèce, l’agent immobilier avait connaissance de l’état déficitaire de l’exploitation et n’avait rien dit à l’acquéreur alors qu’il s‘agissait d’une information déterminante pour el consentement de l’acquéreur.
Marie-Anne BRUN-PEYRICAL
Avocat Of Counsel