Chaque année, plusieurs millions de personnes occupent des appartements via des locations saisonnières.
Cependant, la multiplication de ce type de location via des plateformes en ligne provoque parfois des tensions au sein des copropriétés.
En effet, nombreux sont les copropriétaires tentés de bénéficier d'un revenu complémentaire ou de garder leur bien habité en leur absence.
Toutefois, lorsqu’il s’agit de la résidence principale, la location saisonnière ne doit pas dépasser plus de 120 jours par an.
Également, d’autres conditions légales doivent être respectées par les copropriétaires ; à défaut, ils seront sanctionnés par la Loi ou les Syndicats des Copropriétaires saisissant le Juge des Référés pour violation des dispositions du règlement de copropriété ou pour trouble anormal de jouissance.
I - Il convient de faire un rappel des textes applicables et la jurisprudence actuelle pour lutter efficacement face à la recrudescence des locations AIR BNB dans les copropriétés.
(A) Tout d’abord, l’article L 631-7 du code de la construction modifié par la loi du 23 novembre 2018 rend obligatoire le changement de destination d’un logement en cas de location « d’un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ».
En effet, la location AIRBNB n’étant pas assujettie à la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation puisque cette loi ne concerne que la location d’une résidence principale pour 3 ans reconductible, il s’agit donc de « locations meublées touristiques à courtes durées » nécessitant un changement d’usage de la résidence principale du propriétaire auprès de la Mairie.
S’il n’existe pas de demande de changement d’usage, le propriétaire est en infraction et sera condamné à une amende civile.
(B) Ensuite, il convient de préciser qu’en matière de location AIRBNB, la Cour d’Appel de PARIS puis la Cour de Cassation ont eu à se prononcer sur la qualification de l’activité de mise en location par rapport aux activités professionnelles, libérales, ou commerciales autorisées ou non par les différents règlements de copropriété au titre de la « destination de l’immeuble ».
Ainsi, depuis 2013, la Cour d’Appel est venue durcir sa position à l’égard des locations meublées touristiques de courte durée en considérant qu’elles sont incompatibles avec l’esprit d’une clause d’habitation bourgeoise d’un règlement de copropriété, « que cette habitation bourgeoise soit stricte ou non ».
Arrêt CA PARIS du 11 septembre 2013 (RG n°11/12572): dans cet arrêt, le règlement de copropriété stipulait une destination de l’immeuble à « usage mixte commercial et d’habitation » étant précisé que les appartements devaient être occupés bourgeoisement, à l’exception des locaux commerciaux occupés commercialement.
La Cour d’appel a considéré que l’appartement, objet de la location meublée de courte durée, était loué « de façon meublée à titre professionnel et pour de courte durée » et que « ce mode de location était commercial », violant ainsi le principe d’interdiction d’activité commerciale dans les appartements édicté par le règlement de copropriété et a prononcé une condamnation sous astreinte par jour d’infraction constatée contre le propriétaire.
Arrêt CA PARIS du 21 mai 2014 (RG n°12/17679): dans cet arrêt, le règlement de copropriété disposait que les appartements ou locaux ne pouvaient être occupés que bourgeoisement, à l’exception des locaux du rez-de-chaussée qui pouvaient être occupés commercialement, et autorisait l’exercice de professions libérales
La Cour d’appel ayant considéré que l’activité de location meublée touristiques de courte durée était commerciale et non civile, le propriétaire de l’appartement a été condamné à cesser toute occupation de son meublé de tourisme sous astreinte de 250 € par infraction constatée.
Arrêt CA PARIS du 15 juin 2016 (RG n°15/18917) : dans cet arrêt, le règlement de copropriété autorisait le rez-de-chaussée et les 4 premiers étages de l’immeuble en occupation bourgeoise ou commerciale mais disposait que les étages 5, 6 et 7 devaient être en nature de chambres ou d’appartement, à l’exclusion formelle de toute occupation commerciale.
La Cour d’appel a considéré que si la location meublée n’était pas en elle-même « contraire à la destination bourgeoise d’un immeuble, le caractère commercial de la location de meubles touristiques la rendait incompatible avec une telle destination », les étages 5, 6 et 7 étant utilisés par une SCI copropriétaire à des fins de locations meublées.
Ordonnance de référé rendue par le Tribunal Judiciaire de CRETEIL le 7 septembre 2017: le juge des référés a condamné sous astreinte à remettre en état les lieux une SCI propriétaire de locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée qui les avait transformés en locaux d’habitation aux fins de locations meublées touristiques.
Le juge a considéré qu’il y avait eu modification de la destination des lieux sans autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires.
Arrêt Cour de Cassation du 8 mars 2018 (RG n°14-15864): La cour de Cassation a reconnu que la rotation de courtes périodes de location dans des « hôtels studios meublés » n’est pas compatible avec la destination d’un immeuble à usage d’habitation, avec possibilité d’usage mixte professionnel-habitation et à l’exclusion de toute activité commerciale dès lors que le règlement de copropriété traduit une volonté de stabilité des occupants.
Dans cet arrêt, la Cour a clairement privilégié le caractère « résidentiel » de l’immeuble.
Arrêt Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 septembre 2020: la Cour de Justice était saisie de la compatibilité de la réglementation nationale prévue par l’article L 631-7 du code de la construction avec la Directive européenne n°2006/13 régissant la livre circulation des services, par la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 15 novembre 2018 (RG n°17-26.158).
La Cour de Justice de l’Union Européenne a retenu que « une réglementation nationale soumettant à autorisation la location de manière répétée d’un local destiné à l’habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage (…) est conforme au droit de l’Union dès lors qu’elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location. »
Arrêts Cour de Cassation du 18 février 2021 : par 2 arrêts, la Cour de Cassation a maintenu sa position d’interdiction de location meublée touristique à courtes durées dans des immeubles d’habitation.
Dans le premier arrêt (Civ. 3ème, 18 février 2021, n° 17-26.156), la Cour de cassation a ainsi rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS qui avait condamné le propriétaire ayant enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 du CCH (absence de demande de changement d’usage) en louant de « manière répétée » (au moins deux fois dans l’année) et de « courte durée » (de moins d’un an) un studio meublé dans PARIS.
Dans le deuxième arrêt (Civ. 3ème, 18 février 2021, n° 19-13.191), la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS qui avait jugé que des locations d’une durée de 4 et 6 mois à deux sociétés pour y loger le même salarié ne constituaient pas des locations de courte durée à une clientèle de passage au sens de l’article L. 631-7 du CCH alors que l’appartement avait été mis en location à deux reprises dans l’année et pour des périodes de 4 et 6 mois.
En conséquence, la jurisprudence de la Cour de Cassation est unanime en ce que :
- les locations de courte durée (période de moins d’un an et fractionnée) ;
- les locations de manière repérée (au moins deux fois dans une année) ;
- les locations meublées
Constituent une activité commerciale (et non civile ou professionnelle ou libérale) qui doivent être autorisée par les règlements de copropriété et par la Mairie.
II - Il convient d’analyser les différentes dispositions que l’on trouve habituellement dans les règlements de copropriété au titre de la « DESTINATION » de l’immeuble :
(A) Lorsque « l’immeuble est destiné principalement à l’usage d’habitation. »
Usage des parties privatives
« Occupation
Les appartements ne pourront être occupés que bourgeoisement. L’exercice des professions libérales est toutefois autorisé dans les appartements à condition de ne pas nuire à la bonne tenue et à la tranquillité de l’immeuble. »
« Locations
Les copropriétaires pourront louer leur lot comme bon leur semblera à la condition que les locataires soient de bonne vie et mœurs et qu’ils respectent les prescriptions du présent règlement de copropriété ainsi que la destination de l’immeuble telle qu’elle est définie ci-dessus.
La transformation des appartements en chambre meublée destinées à être louées à des personnes distinctes est interdite. En revanche, la location en meublée d’appartements entiers est autorisée. »
Ce qui signifie que cet article interdit la co-location et n’autorise que la location civile prévue par la loi du 6 juillet 1989.
En revanche, la location meublée touristique de courte durée étant une activité commerciale, elle n’est donc pas autorisée par le règlement de copropriété qui n’autorise que les professions libérales.
Il n’y a donc pas lieu de faire voter une résolution en Assemblée Générale visant à interdire les locations meublées touristiques de courtes durées de type AIRBNB.
(B) Lorsque « l’immeuble est destiné à l’usage d’habitation, à l’exception toutefois des lots qui sont destinés à usage de commerce situés au rez-de-chaussée ».
Les lots à usage de commerce sont limitativement définis et se situent au rez-de-chaussée, ce qui signifie que tous les lots des étages ne peuvent être à usage de commerce.
Utilisation des parties privatives
« Les locaux composant l’immeuble pourront être utilisés indifféremment soit pour l’habitation, soit pour l’exercice de professions libérales.
La location (en nue ou en meublé) à des personnes différentes des pièces composant un même local ou de certaines d’entre elles est interdite, mais les locations en meublé d’un appartement tout entier sont autorisées. »
La location d’un appartement entier régie par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 (location d’une résidence principale pour une durée de 3 ans ou location meublée à titre de résidence principale depuis la loi ALUR) est donc autorisée mais pas la co-location.
En revanche, la location meublée touristique de courte durée étant une activité commerciale, elle n’est donc pas autorisée par le règlement de copropriété.
Il n’y a donc pas lieu de faire voter une résolution en Assemblée Générale visant à interdire les locations meublées touristiques de courtes durées de type AIRBNB.
(C) Lorsque « les bâtiments de l’ENSEMBLE IMMOBILIER sont destinés à titre exclusif à l’habitation principale ou non.
Aucun exercice professionnel même provisoire ne sera accepté. (…)
La transformation des appartements en chambre meublée destinée à être louées à des personnes distinctes est interdite. Il en est ainsi notamment de l’organisation d’une pension de famille ou de l’exploitation d’un garni. Mais la location meublée d’un appartement en son entier est autorisée. »
Le règlement interdit donc de manière explicite toute activité qu’elle soit libérale et/ou commerciale. La co-location est également interdite.
Seule la location civile meublée ou nue d’un appartement en entier, régie par la loi du 6 juillet 1989 (la loi ALUR ayant intégrée les locations meublées) est autorisée.
Il n’y a donc pas lieu de faire voter une résolution en Assemblée Générale visant à interdire les locations meublées touristiques de courtes durées de type AIRBNB.
III – En l’absence de clause interdisant l’activité commerciale dans le règlement de copropriété
Plusieurs options sont à envisager :
(A) Le vote en Assemblée Générale des Copropriétaires d’une clause interdisant la location AIRBNB avec modification du règlement de copropriété.
La majorité requise pour le vote d’une telle résolution fait actuellement débat :
- pour certains : il s’agit de la majorité prévue à l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 applicable en cas de modification du règlement de copropriété,
Cependant, la modification du règlement de copropriété doit concerner la jouissance, l'usage et l'administration des parties communes ;
- pour d’autres : il s’agit de l’unanimité prévue à l’article 26 dernier alinéa de la loi du 10 juillet 1965 au motif que cette résolution porte sur « la modification des stipulations du règlement de copropriété relatives à la destination de l'immeuble ».
(B) L’action judiciaire sur le fondement du trouble anormal de voisinage diligentée par un Syndicat des Copropriétaires à condition que le trouble soit collectif, affectant l’immeuble (c’est-à-dire les parties communes telles que couloirs, ascenseurs, escaliers) et non un lot [CA PARIS 27 janvier 2010].
La Cour d’Appel de PARIS a condamné les propriétaires d’un appartement à payer au Syndicat des copropriétaires la somme de 7.000 euros chacun à titre de dommages intérêts pour les troubles occasionnés par leurs locataires tels que des bruits nocturnes, des cris et galopades d’enfants ou encore le manque de soins et de considération pour les voisins [CA PARIS 21 Mai 2014].
Un autre arrêt de la Cour d’Appel de PARIS a retenu, en outre, l’aggravation des charges de gardiennage comme constitutif d’un trouble anormal [CA PARIS 15 Juin 2016].
Par un arrêt rendu le 11 mai 2017 (RG 16-14339), la Cour de cassation a estimé qu’un « syndicat des copropriétaires peut agir à l’encontre d’un copropriétaire sur le fondement d’un trouble anormal de voisinage. »
(C) Le transfert du dossier pour constat d’infraction au Bureau de la protection du logement de la Ville de Paris.
Ainsi, le copropriétaire peut être en infraction, soit parce qu’il loue sa résidence principale plus de 120 jours, soit parce qu’il n’a pas sollicité de changement d’usage (par exemple en disposant de la commercialité).
Dans ce contexte, le Syndicat des Copropriétaires a intérêt à le signaler au Bureau de la protection du logement et de l’habitation qui mènera une enquête afin d’établir ou non la régularité de cette location avec les dispositions de l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
En cas d’infraction, une assignation de la Ville de Paris sera automatiquement transmise au propriétaire qui s’exposera à une amende maximum de 50.000,00 euros, outre une astreinte financière très lourde tant que le logement ne sera pas retourné à l’habitation.
Cette démarche a été rappelée dans un arrêt du 8 juin 2012 de la Cour d’appel de Paris (RG n°11-13256) où la juridiction avait ordonné à la suite d’un tel signalement du syndicat des copropriétaires, le retour à l’usage d’habitation des locaux loués sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
Marie-Anne BRUN PEYRICAL
Avocat senior – Pôle Immobilier