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ASSURANCE : REVIREMENT JURISPRUDENTIEL EN MATIERE D’INDEMNISATION DE VICTIMES D’ACCIDENTS DU TRAVAIL

Le calendrier procédural d’un Cabinet peut s’avérer pour le moins facétieux.

En l’occurrence, le Cabinet plaidait le 20 janvier dernier un dossier intéressant les préjudices d’une victime d’un accident du travail résultant d’une « faute inexcusable » de son employeur.

Le jour même, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation rendait deux arrêts, publiés au bulletin, modifiant substantiellement les mécanismes indemnitaires applicables à la liquidation des préjudices résultant d’un accident du travail lorsque celui-ci résultait d’une faute inexcusable de son employeur.

Jusqu’alors, le régime juridique applicable voulait qu’en application de l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, le salarié victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de son employeur pouvait prétendre à une indemnisation complémentaire indépendamment de la majoration de la rente servie par l’organisme social tiers payeur.

La disposition précitée visait la possibilité pour le salarié d’obtenir la réparation des souffrances physiques et morales, des préjudices esthétique et d’agrément, des préjudices résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

La Cour de Cassation avait posé le principe suivant lequel cette liste devait être considérée comme étant limitative.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel retenait la conformité à la Constitution de ces dispositions à la condition qu’elles soient interprétées comme ne faisant pas obstacle à la possibilité pour les victimes et leurs ayants droit « de demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité Sociale » (Conseil Constitutionnel, 18 juin 2010, décision n° 2010-8 QPC).

La 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation, par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, déterminait la portée de la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel (arrêt n° 705, pourvoi n° 11-14311 / 11-14594 ; arrêt n° 706, pourvoi n° 11-14.393 ; arrêt n° 544, pourvoi n° 11-18.014 ; arrêt n° 712, pourvoi n° 11-12299) et établissait les principes suivants :

  • la victime pouvait prétendre à la réparation de chefs de préjudice non couverts, en tout ou partie, en application du Livre IV du Code de la Sécurité Sociale : ainsi en allait-il du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire ;
  • la victime ne pouvait pas prétendre à la réparation des chefs de préjudice dont la réparation est assurée, en tout ou partie, par les prestations servies au titre du Livre IV du Code de la Sécurité Sociale : les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales, ou du déficit fonctionnel permanent, dont la réparation était assurée par la rente et la majoration dont elle est assortie en cas de faute inexcusable ;
  • la victime pouvait solliciter de façon spécifique la réparation du préjudice sexuel, lequel était auparavant inclus dans l’indemnisation du préjudice d’agrément.

La chambre mixte de la Cour de cassation, par arrêt du 9 janvier 2015 puis la seconde chambre civile (Cass. Civ. 2ème 13 février 2020 n° 18-25666 18-25690) de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire maintenaient la validité de ce mécanisme dérogatoire d’indemnisation des conséquences d’un accident du travail résultant d’une faute inexcusable de l’employeur.

Même la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par décision du 12 janvier 2017 (affaire SAUMIER C/ FRANCE, requête n° 74734/14) devait rejeter la requête présentée par une victime contestant le refus de l’ordre judiciaire français d’indemniser, notamment, le déficit fonctionnel permanent, l’incidence professionnelle ou l’assistance par tierce personne post consolidation.

Quel que fut le caractère établi du régime juridique rappelé ci-dessus, il apparaît que la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, i.e. l’Assemblée plénière, a opéré un revirement jurisprudentiel spectaculaire faisant l’objet tout à la fois d’une publication au bulletin de la Cour et donnant lieu à un communiqué.

Par deux arrêts rendus le 20 janvier 2023 (pourvois 21.23-947 et 20.23-673), dans des espèces intéressant des victimes de l’amiante, la Cour de cassation considère désormais que la rente servie par l’organisme social ne couvre pas l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent pas davantage que les souffrances physiques et morales de la victime.

Au-delà de l’insécurité juridique inhérente à un tel revirement, il en résultera pour l’avenir une majoration sensible des demandes indemnitaires à être exprimées par les victimes.

Du point de vue des assureurs, cette jurisprudence constituant désormais le droit positif, induit une modification des polices souscrites par les employeurs pour se prémunir des conséquences d’un tel risque et, partant, une majoration des primes à être servies.

Éric MARECHAL

Avocat Associé

CategoryAssurance
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