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ASSURANCES – DEUX NOUVEAUX POSTES DE PREJUDICES CONSACRES PAR LA JURISPRUDENCE :

L’angoisse d’une mort imminente ainsi que l’attente et l’inquiétude déplorées par les proches sont désormais indemnisables.

Par deux arrêts, remarqués à raison tant de la formation les rendant (Chambre mixte), de leur publication au Bulletin que du communiqué de presse diffusé immédiatement après, la Cour de cassation a consacré l’autonomie de deux postes de préjudices que sont, d’une part, l’angoisse d’une mort imminente et, par ailleurs, l’attente et l’inquiétude des proches (pourvois n°20-17.072 et 20-15.624).

Si le premier préjudice cité a fait l’objet d’abondants commentaires, le second s’est révélé plus discrètement évoqué.

La singularité de ces arrêts, et la communication subséquente qui en a été faite, réside in fine non pas dans la confirmation d’un poste de préjudice indemnitaire déjà retenu ponctuellement par le passé mais dans la confirmation du caractère évolutif de la liste des préjudices indemnisables.

  1. Pour complète qu’elle soit, la nomenclature Dintilhac est susceptible d’évolution

Il convient de rappeler que hormis le principe de réparation intégrale du préjudice, établi par la Cour de cassation depuis 1954 (Cass. Civ. 2ème, 28 octobre 1954), qui a pour corollaire la prohibition d’un quelconque profit pour la victime – si tant est qu’une victime d’un préjudice corporel puisse considérer son état séquellaire comme générateur d’un profit – les méthodes d’évaluation des différents postes de préjudices étaient soumis à la libre appréciation des parties tant en demande qu’en défense.

Cependant, au milieu des années 2000, tant la loi du 21 décembre 2006 que les travaux de la Commission présidée par Monsieur Jean-Pierre DINTILHAC en 2005 ont, de fait, limité grandement la variété des modes d’évocation du préjudice corporel et rendu totalement obsolète la notion d’indemnisation « toutes causes confondues » qui était grandement usitée.

En effet, qu’il s’agisse de la nécessité de procéder à l’imputation de la créance des organismes sociaux poste de préjudice par poste de préjudice ou de l’extension du recours à la nomenclature Dintilhac tant par les victimes que par les assureurs, un formalisme certain est apparu dans la définition et la présentation des différents postes de préjudices.

Si les juridictions judiciaires ont presque immédiatement salué l’efficience de la nomenclature Dintilhac, il est à relever que l’ordre administratif lui-même, pourtant rompu historiquement à l’évocation des préjudices selon 6 postes, a fini par reconnaître la pertinence du découpage en 29 postes de préjudices (en ce sens, arrêt CE 7 octobre 2013, décision n°337851 publiée au recueil Lebon).

Cette nomenclature Dintilhac, même se présentant comme « indicative » et n’ayant pas de valeur normative formelle, faisait ainsi autorité pour évaluer l’atteinte séquellaire des victimes et permettre leur indemnisation tant dans un cadre contentieux que transactionnel.

C’était sans compter sur la créativité toute particulière des avocats de victimes, et des associations les regroupant, qui régulièrement tentent d’étendre le champ de l’indemnisation à des postes de préjudices qui auraient été omis de la nomenclature Dintilhac.

  1. La consécration de postes de préjudices déjà retenus par le passé

Pour marquants que soient ces arrêts, a fortiori rendus par la chambre mixte de la Cour de cassation, il n’en demeure pas moins que les juges du fond avaient déjà retenu, dans des affaires particulièrement sensibles et le plus souvent intéressant des accidents collectifs, l’existence d’un préjudice spécifique inhérent à la conscience d’une mort imminente.

Tel fut le cas notamment lors de l’effondrement d’une passerelle du Queen Mary 2 à Saint-Nazaire (CA Rennes, 2 juillet 2009, décision n°008/02152) ou lors de la catastrophe d’Allinges (jugement du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains du 26 juin 2013, RG n°683/2013).

De même, s’agissant du préjudice résultant pour les proches de la victime directe de l’attente d’une information sur le décès de cette dernière, les tribunaux de Paris et Dijon avaient déjà retenu l’autonomie de ce poste de préjudice distinct du préjudice moral (respectivement, Paris 19 septembre 2019 ; Dijon 2 mars 2021).

Nonobstant ces arrêts isolés, le débat demeurait entre plusieurs chambres de la Cour de cassation.

Si la chambre criminelle s’était déjà prononcée en faveur de l’autonomie du préjudice dit de « conscience de mort imminente » (Cass. Crim. Arrêt du 23 octobre 2012, pourvoi n°11-83.770), la 2ème chambre civile de cette même Cour de cassation se montrait plus orthodoxe en refusant de distinguer ce poste de préjudice de celui des souffrances endurées.

La première chambre civile, pour sa part, semblait réticente à dissocier l’angoisse d’une mort imminente des souffrances endurées tout en laissant le champ des possibles ouvert dans l’hypothèse où les deux préjudices ne se confondraient pas à raison même de l’origine et nature du fait générateur (Cass. Civ. 1ère, 26 septembre 2019, pourvoi n°18-20.924).

L’arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation a ainsi pour vertu de :

  • admettre la réalité et partant l’autonomie du préjudice spécifique résultant de la conscience d’une mort imminente ;
  • confirmer qu’il existe pour les proches un préjudice, distinct du préjudice moral et d’affection, inhérent à l’attente même de l’annonce du sort de la victime directe.

  1. Une définition de chacun de ces nouveaux postes et une possible extension future

Dans un souci d’efficience, il convient de strictement reproduire la définition de chacun des deux nouveaux postes de préjudices retenus par la chambre mixte de la Cour de cassation.

Ainsi, l’inquiétude déplorée par les proches doit, pour être indemnisée, revêtir les critères suivants :

  • Le proche doit avoir été exposé « à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle» ;
  • Un délai doit séparer la découverte de l’évènement par le proche et la connaissance de la « situation réelle de la personne exposée au péril.»

Il est à relever que ce poste de préjudice, réparant l’inquiétude des proches, n’est ainsi pas conditionné par le décès in finede la victime directe.

Le préjudice né à raison d’une angoisse de mort imminente est lui plus simplement défini dès lors que la Cour de cassation réitère les motifs retenus par la Cour d’appel résidant en un état de conscience de la victime avant son décès.

Il est également à souligner que la Cour de cassation valide également le syllogisme de la Cour d’appel qui, afin de procéder au chiffrage de l’indemnisation à revenir aux ayants-droit de la victime directe, procède par appréciation croisée de la « nature et l’importance des blessures » avec le « temps de survie de la victime ».

Pour déshumanisée que puisse sembler cette dernière condition, elle a le mérite du cartésianisme.

A raison de ces arrêts, les demandes indemnitaires à être élevées par les victimes indirectes vont nécessairement intégrer chacun de ces deux postes de préjudice.

Ceux-ci, aujourd’hui limités dans leur évocation par les seules victimes indirectes, pourront peut-être un jour être sollicités directement par les victimes d’infractions extrêmement graves même en l’absence de décès.

Il semblerait notamment délicat, alors même que l’attente des proches quant au sort de la victime directe soit prise en considération, de refuser à une victime ayant légitimement cru devoir décéder à l’issue d’une agression l’indemnisation du préjudice, distinct des souffrances endurées, qu’elle a naturellement déploré.

Éric MARÉCHAL

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